L’Institut de Stephen King

Tu vois les points? Tu entends les bourdonnements?

Normal, tu es à l’Institut…

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Genre : suspense et horreur

Année d’édition originale : 2019

Pourquoi j’ai choisi ce livre / cet auteur ?

Parfois j’ai des anecdotes cool à raconter. Parfois c’est basique : King sort un livre, j’achète le livre de King et je le lis. Tu te sens arnaqué, toi petit lecteur qui me lis, je le sens bien.

Bon j’ajoute que j’ai eu l’occasion de faire une lecture partagée : cela permet d’échanger à chaud les impressions, ainsi que d’ajouter un peu de convivialité à sa lecture.

Résumé (sans spoil)

Luke Ellis est un jeune surdoué de 12 ans, s’apprêtant à suivre 2 cursus universitaires en simultané. Loin d’être un freaks, il a une tête bien faite et équilibrée, un brillant avenir l’attend. Sauf que…

Un commando l’enlève en pleine nuit et l’endort. Il se réveille dans sa chambre… ou plutôt dans une pièce qui y ressemble fortement. Elle n’a pas de serrure mais pas de fenêtre non plus. D’autres enfants peuplent cet endroit et y sont arrivés dans les mêmes conditions. Leur point commun? Certaines facultés hors du commun, avérées ou en sommeil. L’Institut est là pour faire émerger ces capacités.

Est-ce que ça va être agréable? Non.

Mon avis

Je pense avoir longtemps repoussé la rédaction de cette chronique parce que je n’aime pas dire du mal d’un roman de mon auteur préféré. J’ai donc pris le temps de digérer ma lecture, afin d’être en mesure d’en parler plus posément.

Ma première réaction en fermant le livre? « Houuuu… ben c’était long et chiant. » Voilà.

Ah, faut que j’argumente? Bien, bien. Allons-y. N’oubliez pas, cela n’engage que moi, si vous avez des impressions différentes ou opposées je suis ouverte au débat, avec plaisir même.

Le pitch était alléchant (cf résumé ci-dessus)… et aussi effrayant. On retrouve un thème cher à Stephen King, à savoir les enfants dotés de pouvoirs surnaturels. De ce fait, j’étais un peu dubitative : même si c’est toujours agréable de mettre ses chaussons ou de nager là où on a pied, un petit frisson d’inattendu est aussi appréciable. Du coup, je me demandais si King arriverait à me surprendre. La réponse est non, et pas dans le bon sens (je suis impitoyable, je sais).

Parlons du rythme. Un premier chapitre prometteur, mais dont on met longtemps à comprendre l’utilité. De ce fait il crée une attente dans la lecture, à la limite de mettre sur une fausse piste et quand les éléments se sont emboîtés je n’ai pas trouvé ça pertinent (oui, esquiver le divulgâchis est un art à lui tout seul). Pour le reste… on va dire pudiquement que King met patiemment son histoire en place, au risque d’éprouver justement notre patience. Honnêtement j’ai trouvé ça trop long. Vous me direz que c’est un des principaux défauts de l’auteur, et j’en déjà fait l’expérience, mais là… cela m’a fait sortir de l’histoire. Il y a bien un moment où ça dépote, mais c’était trop tard pour moi et j’en suis bien la première déçue.

Autre point qui m’a rebuté, c’est la multiplication des personnages secondaires. Je concède que c’était difficile de faire autrement que d’évoquer la plupart des enfants vivant dans l’Institut, mais il y en a beaucoup, et leurs caractéristiques étaient trop floues pour qu’on puisse s’y attacher ou, pire, s’y intéresser. De ce fait, quand l’un sortait de l’histoire (comprendre : mourait), j’admets que je n’ai été éplorée.

Revenons au point évoqué plus haut, à savoir le thème des enfants dotés d’un don surnaturel. C’est une récurrence chez King : Carrie, Danny Torrance, Charlie, Abra. Ces enfants sont toujours en danger et représentent un danger une fois poussés dans leurs derniers retranchements. Ici, j’ai perçu Luke comme un enfant en danger dans cet Institut qui fait subir des expériences éprouvantes aux pensionnaires afin qu’ils révèlent ou développent leur potentiel télépathique ou télékinésique. Mais plus d’une fois, notamment à l’issue d’une de ces séances proches de la torture, j’ai ressenti un énervement car j’avais envie qu’il prenne sa revanche et cette attente était trop souvent déçue. Il a une façon bien à lui de s’en sortir (rappelez-vous, c’est un enfant surdoué), et quelque part je sais que si King lui avait fait suivre les traces de ses illustres prédécesseurs on lui aurait reproché de faire du réchauffé. Il a innové certes, mais cela manque de relief…

Est-il si catastrophique, cet Institut? Bien sûr que non. Objectivement, il est intéressant par plusieurs aspects.

Bon, j’ai peut-être été un peu dure sur cette attente de rébellion. Si les pensionnaires ne font pas tout sauter dès la première semaine, c’est parce qu’un système bien rodé est mis en place pour éteindre toute velléité de révolution. Tu subis les expériences sans rechigner? Tu réponds aux questions sans te faire prier? Tu as des jetons, et avec des jetons tu t’achètes des douceurs. Par douceurs, entendre entre autres des cigarettes et des mixed drinks (oui, pour des jeunes d’une douzaine d’années…). Ce n’est pas la première fois que King parle du monde des adultes qui pervertit celui des enfants, et pour cela il reste particulièrement percutant.

Autre point intéressant, qui découle du précédent, c’est que King a introduit peu de surnaturel dans son roman. Les jeunes héros du roman sont tous potentiellement télépathes et/ou télékinésiques, et c’est le « potentiellement » qui est très important à retenir : certains ont ce pouvoir de manière avérée, d’autres renferment ce don et ne l’ont pas encore développé. Par conséquent, la « routine » de tests plus ou moins cruels que subissent ces cobayes revêt un aspect très médical et froid. Le genre de froid qui glace, parce qu’il montre des adultes déshumanisés, avec peu d’empathie pour leur sujet d’expérience, et que cela décrit un monde clos tout à fait vraisemblable. C’est toujours le tour de force de King : le réel est toujours plus effrayant que le surnaturel.

Vous pourriez penser que je me contredis entre les points négatifs et les points positifs, mais on peut reconnaître une certaine qualité à un roman tout en ayant eu un ressenti mitigé. C’est ce que je me suis efforcée de faire : ce n’est pas un mauvais roman, mais il ne m’a pas emballée. J’ai passé sous silence certains aspects de l’histoire pour vous laisser la primeur de la découverte, notamment la fin (quelle frustration de ne pouvoir en parler ici!). Admettez que je suis sympa : King, lui, spoile la plupart de ses chapitres avec le nom qu’il leur donne (mais c’est son truc, vous le savez). Pour conclure, je vous engage à le lire pour vous faire votre propre idée.

Mon personnage préféré

Luke, le personnage principal, reste à mes yeux le personnage le plus intéressant. En même temps c’est aussi le seul que j’ai trouvé un minimum développé et attachant, donc le choix n’était pas spécialement cornélien. Un gamin surdoué, donc avec des réflexions d’adulte mais une sensibilité d’enfant, ce qui donne un personnage complexe que j’ai apprécié de suivre. Comme d’habitude avec King, pas de héros, juste un être humain avec ses failles et ses qualités. Il est parfois facile d’oublier qu’il n’a que 12 ans, et dans des moments de danger ou de tristesse l’auteur sait y faire pour nous attendrir.

Un passage qui m’a marqué

Comme pour tout animal de laboratoire qui se respecte, on a implanté une puce de traçage (dans le lobe d’oreille de Luke, en l’occurrence). Et il va bien falloir le retirer. Sans anesthésie et au couteau. Il a du cran ce petit… La scène est courte mais vous connaissez King, il adore les petits détails appétissants (ou pas).

Une citation

« Tous trois tenaient des machins noirs d’où sortaient des fils électriques. Ils étaient prêts à intervenir. Car vous ne pouviez pas laisser les animaux de laboratoire se faire du mal, songea Luke. Impossible. Les cobayes étaient précieux. »

Le saviez-vous? Par Club Stephen King

– L’idée du roman est venue à Stephen King en deux temps :

o Le premier élément était une partie de la chanson « The Wall », des Pink Floyds, dans laquelle on entend le directeur crier aux enfants « Si vous ne mangez pas votre viande, vous ne pourrez pas avoir de dessert! »

o Plus tard, durant une fête, Stephen King a entendu dire que beaucoup de professeurs n’aiment pas les enfants. Il n’en fallait pas plus pour que l’imagination de Stephen King se mette à construire l’image d’une école d’enfants kidnappés parce qu’ils ont des pouvoirs psychiques… et ils sont alors utilisés comme cobayes.

– George RR Martin a encensé le roman de Stephen King, déclarant qu’il lit généralement lentement un livre, 1 ou 2 chapitres à la fois, qu’il a eu beaucoup de mal à lâcher « L’institut »

– La fiction rejoint la réalité : lorsque Stephen King a commencé l’écriture du roman, il ne pensait pas que la réalité allait rejoindre (sa) la fiction. Durant la tournée promotionnelle autour de plateaux télévisés, la question de si la situation des migrants américains a influencé son histoire lui a été posé. Cela n’a pas été le cas, mais comme King l’a dit, « l’époque depuis laquelle Trump est devenu président, a été extrêmement nerveuse pour beaucoup de gens (…) j’essaie de séparer ma politique de mes histoires mais elles s’intercalent l’une envers l’autre, parce que je vis aussi une vie. Et ces temps ont été sombres. »

– Le roman regorge de clins d’œil à Trump et sa politique américaine. Regorge n’est sans doute pas le bon terme, mais Stephen King ne cache pas son mépris pour le président américain et lui lance plusieurs piques. Découvrez une interview traduite de Stephen King dans laquelle il parle de « L’institut », de Trump de ses petits enfants et ce qui l’effraie vraiment.

– « L’institut » a été élu le meilleur livre d’horreur de 2019, selon la communauté de lecteurs de Goodreads.

– Une série « The Institute » a été annoncée dès la sortie du livre. Elle est produite par l’équipe de choc de la série « Mr Mercedes », à savoir les producteurs David E. Kelley et Jack Bender.

Pour en savoir plus sur le livre « L’institut » de Stephen King, sur le site du Club Stephen King

Bonus

Je ne cèderai pas à la facilité de vous engager à lire les autres romans de Stephen King qui ont pour particularité des personnages principaux aux capacités psychiques hors du commun, comme Shining, Dr Sleep, Carrie, Charlie, Dead zone. Ah zut, viendrais-je de le faire par pure inadvertance? Bon ben puisque vous êtes là… lisez ces livres.

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L’Institut présente des similitudes avec le roman de Bernard Lentéric qu’il n’est plus nécessaire de présenter : La nuit des enfants rois (adapté en 2011 sous le titre The Prodigies). « Dans les années 1970 aux États-Unis, une multinationale informatique charge un de ses informaticiens les plus doués, Jimbo Farrar, de mettre au point et de surveiller les résultats d’un programme destiné à découvrir des surdoués parmi de jeunes enfants et à leur proposer une bourse d’études dans quelques années. Jimbo part rencontrer chacun des sept enfants et constate que chacun est doué d’une intelligence et d’une précocité hors du commun et que les enfants sont déjà conscients d’être à part. Dix ans plus tard, les sept adolescents, six garçons et une fille, sont réunis avec d’autres pour bénéficier d’une bourse d’études. Exhibés presque comme des monstres de foire, les sept génies n’en sont pas moins ravis de se rencontrer. Lors d’une sortie nocturne à Central Park, ils sont agressés et subissent des violences sexuelles. Les sept ne formant en fait qu’un seul esprit s’enferment alors dans une spirale de folie meurtrière… » Un classique de la littérature SF française.

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Si vous le thème des individus possédant des pouvoirs psychiques mais que vous en avez marre de voir des gentils, jetez-vous sur l’Echiquier du mal de Dan Simmons.  » Ils ont le Talent. Ils ont la capacité de pénétrer dans notre esprit pour nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir. Ils tirent les ficelles de l’histoire. Sans eux le nazisme n’aurait peut-être jamais existé, et nombre de flambées de violence, tueries, accidents inexpliqués n’auraient peut-être pas ensanglanté notre époque. Car ils se livrent aussi entre eux une guerre sans merci, selon des règles empruntées à celles des échecs. Ce sont des vampires psychiques. » Si vous n’êtes pas encore convaincus, lisez la chronique que je lui ai consacré.

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Les enfants de l’Institut m’ont rappelé Chronicle, film de SF de Josh Trank sorti en 2012 : « Après avoir été en contact avec une mystérieuse substance, trois lycéens se découvrent des super-pouvoirs. La chronique de leur vie qu’ils tenaient sur les réseaux sociaux n’a désormais plus rien d’ordinaire…
D’abord tentés d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour jouer des tours à leurs proches, ils vont vite prendre la mesure de ce qui leur est possible. Leurs fabuleuses aptitudes les entraînent chaque jour un peu plus au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Leur sentiment de puissance et d’immortalité va rapidement les pousser à s’interroger sur les limites qu’ils doivent s’imposer… ou pas ! » Peut-être est-ce ce genre de développement que j’aurais aimé pour l’Institut (cf Mon avis). En tous cas si ce n’est pas déjà fait je vous engage fortement à voir ce film.

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Une fois n’est pas coutume, je vous suggère la lecture d’un article. Deadhunter, vulgarisateur de sujets alternatifs comme il se présente lui-même, a consacré une publication au projet secret de la C.I.A. de manipulation mentale MK-Ultra. Cette histoire n’est pas sans rappeler l’Institut. Article à lire ici :

https://deadhunterblog.wordpress.com/2020/03/18/mk-ultra-le-projet-secret-de-la-c-i-a-de-manipulation-mentale/

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